Après avoir obtenu plus de 4000 signatures pour notre pétition contre les coupes rases dans la forêt alluviale à Bonny-sur-Loire, nous avons envoyé cette pétition à ses différents destinataires, en l’accompagnant de la lettre suivante :
lettre_accompagnement_pétition
Bonny-sur-Loire, le 29 septembre 2025
Objet : remise de pétition
A l’attention de : M. le Maire de Bonny-sur-Loire et les membres du conseil municipal de Bonny-sur-Loire, Mme la Préfète du Loiret, Conservatoire d’Espaces Naturels Centre Val de Loire, Office Français pour la Biodiversité, DREAL du Loiret, Comité de gestion Natura 2000 « Vallée de la Loire du Loiret », Mme la députée de la 3ème circonscription du Loiret.
Bonjour,
Vous trouverez en pièce jointe à ce mail les 4035 signatures de la pétition « Halte au massacre de la forêt des îles de Bonny-sur-Loire ». Cette pétition, qui a remporté un grand succès, visait à protester contre les coupes rases réalisées à partir du 9 juillet 2025 dans la forêt alluviale classée Natura 2000 et Znieff 2 de Bonny-sur-Loire (voir arrêté ministériel du 4 mai 2007 désignant le site Natura 2000 FR2410017 Vallée de la Loire et du Loiret, avec la cartographie de ses Zones de Protection Spéciales : https://www.donnees.centre.developpement-durable.gouv.fr/Zonages-Nature-pdf/NATURA_2000_Oiseaux/45/FR2410017_TA.pdf).
L’ampleur des signatures, et leur répartition géographique (526 en région Centre Val de Loire, 333 dans le Loiret, le reste en France métropolitaine mais aussi à La Réunion, en Guadeloupe et même un certain nombre à l’étranger), indique clairement que la forêt comme milieu vivant (et non comme ensemble d’arbres sur un terrain donné), n’est jamais une propriété entièrement privée puisqu’elle est considérée par nos concitoyens comme un patrimoine commun, une ressource essentielle à préserver, un paysage fragile qu’il est très grave de détruire en période de nidification d’espèces protégées, de canicule, mais aussi de réchauffement climatique global et de réduction drastique de la biodiversité. La COP 30 se déroule dans quelques semaines, et un grand nombre de colloques en 2024 et 2025 ont porté sur les forêts : il est temps que tout le monde sorte du déni et agisse enfin dans le sens de l’intérêt général.
Pour les habitants vivant à proximité de ces forêts, il s’agit de paysages sensibles, qui suscitent des attachements forts, des habitudes de promenades régulières, avec des amis et en famille. Quand une coupe rase est réalisée, la destruction de ces paysages devient dramatique, insupportable, et elle est vécue comme une agression violente au sein d’un espace intime, comme la perte irrémédiable de lieux patrimoniaux, d’espaces de fraîcheur lors des canicules, de moment précieux d’observation des animaux et des plantes, de découverte de la nature. Pour les touristes de passage, celles et ceux qui utilisent la route de la Loire à vélo et le sentier de découverte des îles de Bonny, une coupe rase ne peut susciter que le dégoût tant le paysage est dévasté.
Nul ne possède entièrement une forêt, une rivière ou n’importe quel écosystème. En revanche, nous en sommes tous et toutes les bénéficiaires et les responsables où que nous vivions, et il est impératif d’en prendre soin pour transmettre aux générations futures une planète habitable, et non des paysages dévastés par la pollution, par des canicules toujours plus meurtrières, par des inondations dramatiques, ou encore par le désastre de plantations monospécifiques qui sont à la forêt ce que McDonald est à la cuisine de nos grands mères.
Les cadres réglementaires qui ont été mis en avant dans la presse au sujet de ces coupes rases (la propriété privée du foncier, les dérogations aux réglementations Natura 2000, etc.) sont fort peu légitimes compte tenu des connaissances scientifiques dont nous disposons sur les liens entre les forêts, le climat et la biodiversité : en matière environnementale nous savons tous que la loi ne suffit pas, et le législateur prend peu à peu en compte des exigences nouvelles et nécessaires. En l’occurrence chaque parcelle de forêt protège notre avenir et celui de nos enfants, et les coupes rases sont inacceptables, y compris quand elles sont légales. Une collectivité territoriale ou un organisme de protection de l’environnement s’honorent quand ils luttent contre des pratiques archaïques qui mettent en danger notre avenir commun, d’autant plus qu’il existe des alternatives qui permettent aujourd’hui d’exploiter plus rationnellement le bois dont nous avons besoin pour nos constructions.
A propos des usages publics du sentier qui traversait le site et qui semblait faire l’objet de mesures de protection (panneau du CEN à l’entrée), nous signalons en tant qu’anciens conservateurs bénévoles du CEN nous avons très fréquemment arpenté ce sentier et la forêt alluviale, recommandé aux promeneurs de prendre soin du site, fait remonter des informations au CEN. Toute cette pédagogie et cette attention au milieu, partagées par de nombreux promeneurs, est en contraste absolu avec le spectacle de destructions brutales, pas même annoncées : à quoi sert de prendre tant de précautions, d’être heureux de sentir le respect du vivant chez les promeneurs, si à tout moment le site peut être dévasté sans que cela semble poser le moindre problème ?
A propos de ces cadres juridiques et réglementaires, dont il a été souvent question dans la presse ou dans nos échanges avec l’OFB ou avec le Conservatoire d’Espaces Naturels Centre Val de Loire, nous demandons des vérifications et réponses écrites à propos des points suivants :
– Le respect du parcellaire foncier par l’entreprise qui a réalisé les travaux : compte tenu de l’absence de bornage au sol dans la forêt, et du caractère spécifique de cette forêt alluviale aux contours variables, nous n’avons à ce jour aucune preuve que le parcellaire foncier a été respecté. Il aurait fallu – ce que nous avons demandé à plusieurs reprises à l’OFB par téléphone – vérifier par des points GPS que les travaux n’ont pas empiété sur le territoire géré par le CEN. Étant propriétaires d’une parcelle de forêt à quelques dizaines de mètres des coupes rases réalisées, nous sommes bien placés pour savoir que le respect d’un parcellaire foncier ne va pas de soi dans ce type de site.
– La sécurisation du chantier et l’information du public : le chantier n’a pas été sécurisé durant les travaux (aucun panneau d’information, aucune interdiction d’accès, aucune rubalise posée), et était accessible durant l’ensemble des coupes, ce qui constituait un danger pour les promeneurs (le sentier de découverte public géré par le CEN et la mairie de Bonny-sur-Loire traversait le site de la coupe).
– La destruction d’habitats d’espèces protégées : elle est démontrée par l’expertise réalisée par Joseph Garrigue, sur la base de ses observations menées avant les coupes rases, lors de son séjour à Bonny-sur-Loire pour une conférences au hameau des Loups en février 2024 (voir ici : https://bureau122.fr/2025/07/19/en-complement-de-la-petition-halte-au-massacre-de-la-foret-des-iles-de-bonny-sur-loire-par-joseph-garrigues/). La présence d’espèces protégées et patrimoniales sur le site Natura 2000 est par ailleurs indéniable en raison de l’inventaire naturaliste réalisé pour la création de ce site Natura 2000, ainsi que par ceux réalisés par le CEN Centre Val de Loire pour son plan de gestion 2014-2024. Ensuite, les parcelles rasées n’étaient pas composées seulement d’érables de plantation, mais constituaient un peuplement mixte (chênaie-ormaie-frênaie, peupliers hybrides et saules). Là encore, les documents du CEN en apportent la preuve, ainsi que nos propres photographies et l’expertise de Joseph Garrigue. Voir ici : https://bureau122.fr/2025/09/08/bureau-122-et-les-coupes-rases-a-bonny-sur-loire-dans-la-presse/ Enfin, Le Plan de gestion 2014-2024 du CEN signé avec la mairie de Bonny-sur-Loire indique très clairement que même les parties situées sur des parcelles privées correspondent à des forêts « d’intérêt européen » présentant « potentiellement un intérêt supplémentaire pour la faune et la flore » (Plan de gestion 2014-2024, p. 76).
– L’Article L414- 4 du code de l’environnement (voir ici : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033034469/) indique, à propos des travaux en zone Natura 2000 : « I. – Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après « Evaluation des incidences Natura 2000 » ». Nous demandons si des évaluations d’incidences ont été menées préalablement aux coupes réalisées par l’entreprise pour les travaux effectués. Si ces évaluations d’incidences ont été réalisées, nous demandons à ce qu’elles nous soient communiquées. Si elles n’ont pas été réalisées, nous en demandons la raison.
– Le sentier de découverte des îles de Bonny-sur-Loire, à partir de la passerelle Dénoyé, a été partiellement effacé par la coupe. Nous avons constaté que le propriétaire interpelle les promeneurs et dit qu’ils n’ont rien à faire sur son terrain. Est-il prévu de remettre ce sentier en état, et de le laisser ouvert au public comme c’était le cas depuis sa création ?
– Conventions d’usage : Dans son Plan de gestion 2014-2024, le CEN indique qu’il « aura la charge de prendre contact avec les propriétaires pour leur proposer des conventions d’usage » (Plan de gestion 2014-2024, p. 76). En tant que propriétaires depuis 2020 d’une parcelle de forêt située exactement dans cette zone, nous n’avons pas été contactés par le CEN pour mettre en place une convention d’usage. Nous avions pourtant indiqué au CEN que nous étions propriétaires. Nous étions par ailleurs également Conservateurs bénévoles au sein de ce même organisme. Nous demandons donc si le CEN a réalisé ces démarches auprès des propriétaires, et s’il ne l’a pas fait, nous souhaitons en connaître la raison.
Le grand succès de cette pétition, tout comme celui de la pétition contre la Loi Duplomb, nous disent que les cadres réglementaires, trop souvent soumis à des régimes dérogatoire, doivent évoluer afin de prendre en compte les aspirations des français à plus d’écologie et à plus de démocratie : contrairement aux stéréotypes véhiculés par les médias, toutes les études sérieuses de l’opinion publique indiquent que la question environnementale est devenue prioritaire pour nos concitoyens. Cela signifie que les lois, les politiques publiques et les pratiques des collectivités territoriales en matière de forêts (mais aussi de gestion des rivières, d’agriculture, de pollution, de catastrophes naturelles, etc.) ne sont plus adaptées au contexte d’une planète fragilisée, et qu’il est urgent de lutter pour transformer ces cadres réglementaires et d’actions.
C’est pourquoi, forts du soutien des signataires, aidés par les scientifiques de renom qui ont corédigé cette pétition (Pierre Henri Gouyon, Jacques Tassin et Joseph Garrigue), accompagnés par les collectifs et associations qui ont soutenu notre action et nous ont encouragés (l’ONG Canopée forêt vivante, le collectif B.I.R.D en Puisaye, le Groupe National de Surveillance des Arbres, etc.), Bureau 122 poursuivra et amplifiera son action en utilisant tous les moyens légaux et pacifiques à sa disposition – expertise scientifique, plaidoyer, interpellation des élus, pétition, médias et réseaux sociaux – afin de poser une exigence forte en matière de respect du vivant, des paysages, et de nos milieux de vie. Rien ni personne ne nous rendra la magnifique forêt qui a été massacrée à Bonny-sur-Loire. Mais nous seront très vigilants à l’avenir pour qu’un tel désastre ne se reproduise pas.
Bureau 122, les collectifs et les scientifiques qui nous soutiennent, restent à votre écoute et disponibles pour vous aider à changer de stratégie dans le cas où vous seriez intéressés par le temps et l’énergie que nous dépensons pour la protection de la biodiversité et la transformation des modes de gestion des forêts.
Recevez l’expression de nos sincères salutations
Igor Babou, Joëlle Le Marec et Catherine Fumé pour Bureau 122

