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Interdire la chasse dans une parcelle privée

Nous possédons une petite parcelle de forêt, à deux pas de la maison, qui est située sur ce qu’on appelle ici “l’île des Loups”. Il s’agit plutôt d’une presqu’île formée par la confluence entre la Loire et son petit affluent local, la Cheuille. Quand le niveau de la Loire monte, cette presqu’île devient une île. Notre parcelle n’est pas immense (3000 m²), mais elle est recouverte d’une forêt, et surtout elle abrite comme toute la presqu’île de nombreux oiseaux (canards, hérons, aigrettes, poules d’eau, etc.), ainsi que des chevreuils, des sangliers, etc. Je n’y ai pas mené d’inventaire naturaliste, mais d’après le plan de gestion du Conservatoire d’Espaces Naturels (dont le territoire jouxte cette parcelle), cette forêt est située dans une zone Natura 2000 (Directive oiseaux et Directive Habitat), avec un statut d’inventaire de ZNIEFF 2 : c’est une Zones Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique, qui caractérise des espaces qui intègrent des ensembles naturels fonctionnels et paysagers, possédant une cohésion élevée et plus riches que les milieux alentours. Comme l’indique l’inventaire de l’Institut National du Patrimoine Naturel, on y trouve des forêts composées de chênes, d’ormes, de frênes, de saules et de peupliers noirs ou hybrides, et diverses espèces animales et végétales d’intérêt patrimonial.

Comme d’autres terrains privés situés sur un territoire inondable, cette parcelle de forêt est cadastrée mais pas bornée : aucun grillage n’en marque les limites, ce qui a l’avantage de permettre aux animaux de circuler librement. Même chose pour les promeneurs. Mais c’est aussi valable pour les chasseurs, puisque cette parcelle faisait partie d’un plan de chasse géré par l’association de chasse locale.

Comme je ne suis pas un adepte de la chasse, et que j’avais envie de contribuer à la sauvegarde d’une biodiversité plus que menacée, je souhaitais interdire la chasse dans ce terrain, d’autant qu’il jouxte celui géré par le Conservatoire d’Espaces Naturels, ce qui permettrait de créer une continuité écologique sans chasse entre la Loire et la Cheuille. J’avais lu quelques informations administratives sur internet, et cela semblait assez compliqué d’interdire la chasse, même sur un terrain privé, pour des raisons de délais à respecter. En fait, après discussion avec le Conservatoire, c’était tout simple à réaliser puisqu’il m’a suffit d’envoyer un courrier à la Fédération départementale des chasseurs du Loiret avec une copie de mon titre de propriété, courrier dans lequel je demandais que ma parcelle soit “extraite du plan de chasse”. Le secrétariat de cette fédération a fait le nécessaire et m’a indiqué que je pouvais maintenant apposer des panneaux “Chasse interdite” sur les limites de ma parcelle, ce que je viens de faire avec un GPS et en m’appuyant sur les informations géographiques cadastrales du Géoportail. Désolé pour la mauvaise qualité des photos, mais j’avais bêtement oublié de prendre mon boîtier !

Auparavant, j’avais discuté de chasse avec un collègue et ami anthropologue, écologue de formation et excellent connaisseur de la faune sauvage, notamment des oiseaux, et qui était chasseur depuis son enfance avant d’arrêter cette activité pour des raisons éthiques. Cette discussion était intéressante, et je vais essayer d’en restituer quelques éléments, en espérant ne pas trahir la pensée de cet ami. Il m’expliquait que la chasse n’était pas une activité facile à arrêter quand on la pratiquait depuis l’enfance, car elle s’inscrivait dans toute une série de rituels familiaux et dans des sociabilités : c’est une activité traditionnelle, qu’on se transmet de génération en génération, et comme pour nombre de ces activités, ce n’est pas seulement l’acte de tuer des animaux qui est transmis, mais tout ce qui l’accompagne. La chasse permet notamment, quand elle est pratiquée dans les milieux populaires, de répartir de la nourriture entre parents ou amis, d’avoir à manger durant des semaines, et de faire la fête ensemble. A Bonny-Sur-Loire, pour ce que j’ai pu en percevoir, j’ai l’impression que la chasse est aussi une activité de propriétaires terriens et de notables locaux.

En tout cas, je suis d’accord avec cet ami qui n’a pas une vision réifiée et uniforme de la chasse : si on veut que cette activité disparaisse progressivement de manière à préserver le vivant, et accessoirement pour assurer la sécurité des promeneurs qui ont le droit de ne pas se prendre une balle dans la tête quand ils profitent de leurs moments de loisir pour visiter la campagne…, alors il faut comprendre dans le détail les pratiques de chasse, leur complexité et leur hétérogénéité. Mais si on en reste à “ces salauds de viandards avinés” ou au “lobby de la chasse”, rien ne sera possible. De ce point de vue, une anthropologie fine de la chasse serait bien plus utile que des arguments péremptoires. Ce que m’a également expliqué cet ami, c’est que la chasse n’est pas uniquement une affaire de tradition familiale, mais qu’elle correspond aussi au business lucratif de certaines sociétés de chasse. Une chasse sur un terrain se négocie ainsi entre 1500 et 2000 euros par personne dans les environs de Bonny-Sur-Loire. Et les pratiques de certaines de ces associations sont loin d’être vertueuses : ainsi, le fait de fixer les populations de chevreuils ou de sangliers en déposant des graines au sol (on dit “engrainer”) a pour conséquence d’améliorer la fécondité de ces mammifères (qui ont des portées plus nombreuses) et comme on a par ailleurs éradiqué leurs prédateurs naturels (principalement le loup), ils se mettent à pulluler et à dévaster les cultures. Ce qui permet alors aux sociétés de chasse de se présenter comme des solutions pour réguler le surplus de ces populations de mammifères. Le Conservatoire d’espaces naturels, par exemple, a passé une convention avec la société de chasse locale pour abattre un certain quota de sangliers. Le phénomène de la surpopulation d’espèces considérées comme “nuisibles” est donc largement construit par la chasse elle-même, qui en bénéficie à plusieurs niveaux. Sans parler de l’aberration que constitue le fait de relâcher massivement dans la nature des faisans d’élevage pour les abattre lors de chasses organisées (et payantes) : faisans que l’on voit errer au bord des routes et dans les champs, puisqu’ils sont totalement dépendants d’un nourrissage assuré par les chasseurs ou les éleveurs. Là encore, une connaissance anthropologique fine des pratiques et des dérives de la chasse comme business lucratif est plus utile pour raisonner (et donc pour agir) que bien des arguments abstraits portant sur le respect du vivant.

 

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