Sophie, une habitante de la région, nous écrit pour témoigner à propos des coupes rases à Bonny-sur-Loire :

Habitant au bord de la Loire, je connais bien le sentier des îles de Bonny. Il n’y a pas si longtemps que ça, j’ai suivi l’explication d’un arboriste qui illustrait sa spécificité et sa richesse naturelle…

Il y a environ 4 ans, nous habitions encore en pleine campagne creusoise dans une roulotte.

Face à nous, un paysage magnifique de forêt de feuillus, quelques prairies, des pâturages, quelques zones humides. Une faune et une flore foisonnantes. Quelques petits cours d’eau entres certaines parcelles où chevreuils, renards, oiseaux, libellules, tout un monde diversifié venait s’abreuver. On y mettait aussi nos bouteilles à refroidir.

Un matin des bruits de tronçonneuses résonnèrent dans la vallée, difficile de savoir où exactement.

C’était affreux, on avait l’impression d’entendre les arbres crier ! On entendait littéralement leurs corps se déchirer. Ça résonnait en écho tout autour de nous.

Le lendemain matin, ça a repris. Et là, on a vu. C’était dans la forêt, juste en face de nous. On voyait des trouées apparaître et toujours ce fracas des arbres tomber.

Troisième jour : rien. Quatrième jour : rien. On y a cru. On a eu tort. Le pire était à venir.

Le soir, vers 21 heures, des lumières très fortes dans la forêt. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien faire ? On ne débarde pas en pleine nuit…

C’était l’abatteuse qui arrivait. Et alors là, je ne souhaite à personne de vivre ça.

Ils ont mis des spots puissants pour travailler la nuit. Ils ont continué le jour. Et ça, sur plusieurs jours, sur plusieurs nuits.

Parce qu’une abatteuse, ça coûte environ 1 million et demi à l’achat.

Une abatteuse, ça peut couper 1 hectare de forêt par jour.

Vous me suivez ?

Il faut rentabiliser.

Les trouées s’agrandissaient à une vitesse incroyable. On était dévasté comme le paysage : une zone de guerre, une zone de désolation. On a vu les chevreuils fuir. Les oiseaux ne chantaient plus. La nuit, on entendait plus la chouette chasser, elle avait pourtant fait des petits, on les avait entendus. Où étaient-ils tous passés ?

Les hectares de coupes se multipliaient.

J’en ai pleuré. J’en ai crié.

Alors, désespérément, on a cherché de l’aide auprès des amis, des voisins. Se rassembler, en parler, ne pas rester seul face à la peine, le sentiment d’impuissance…

On a bien fait. Parce que les bouches se sont déliées. Les larmes, la colère, le réconfort aussi, comprendre, écouter ceux qui sont déjà passés par là, ceux qui ont fait le pas vers l’action…

On a vite compris que ce qui nous arrivait, c’était commun en Creuse : abattre une forêt de feuillus pour replanter des pins Douglas, abattre une forêt parce que ça rapporte, parce qu’une forêt est gérée comme l’agriculture intensive, parce que c’est un patrimoine à rentabiliser…

On nous a parlé d’un véritable empire industriel de coupe de forêt : Alliance Forêt Bois, première coopérative forestière de France.

On nous a raconté que des sociétés envoyaient des démarcheurs qui faisaient du porte à porte pour convaincre les habitants des petits villages, des hameaux, de couper leur forêt, que ça leur rapporterait de l’argent, qu’ils replanteraient derrière, qu’ils n’abîmeraient pas les sentiers, les parcelles, les cours d’eau…

On a appris que des gens se rassemblaient pour racheter des forêts pour en faire un bien commun et pour empêcher qu’une coupe rase ne les dévaste.

On a vu des militants embarqués par la police parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir mis du sucre dans les moteurs des abatteuses pour les empêcher de démarrer.

On a vu des collectifs de citoyens se créer pour devenir une sorte de vigie à l’affût du moindre bruits de possible coupe rase.

On a créé notre collectif pour, nous aussi faire du porte à porte, pour expliquer qu’il y a d’autres façons de gérer une forêt, que l’on pouvait imaginer se rassembler pour payer ensemble des bûcherons à l’ancienne, respectueux et connaisseurs des arbres, que ça limiterait les coûts, que s’étaient même, au final, moins cher que les coupes rases.

Et puis, il y a eu la manif à Guéret, un 5 octobre. On est plus de 3000 à s’en rappeler. Parce que ça a été la plus grosse manif contre les coupes rases, les usines à pellets…

Alors oui, on a perdu cette magnifique forêt de Creuse, mais avec elle, on a compris que si on ne reste pas seul avec son impuissance, si on se rassemble, si on se soutient, on peut ébranler le système industriel de destruction des forêts en France. Et on peut convaincre propriétaires privés et municipalités de voir le vivant comme un patrimoine commun.

Allez jeter un coup d’œil sur le site de Canopée Forêt Vivante :

https://www.canopee.ong/le-media/actions/chronique-du-sauvetage-du-bois-du-chat/

et sur Partager c’est sympa :

 

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